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dimanche 5 août 2012

Jane se fait du souci

Tu connais bien Jane, amie lectrice fidèle de son Monde... C'est une bande dessinée dont l'objet est la vie quotidienne (et les déboires) d'un petit groupe de Californiens : elle se déploie avec fantaisie, parfois onirisme, toujours humour. Son auteure, Paige Braddock, y évoque très rarement les aléas de l'actualité politique des États-Unis ou du monde ("Jane n'est pas un animal politique", dit-elle), ce qui rend d'autant plus exceptionnelle la planche qui suit.
Elle est en effet inspirée directement par la violente controverse autour du fast-food Chick-Fil-A, la deuxième chaîne spécialiste du poulet hypercalorique aux États-Unis, dont le P.D.-G. s'est déclaré par conviction religieuse contre l'ouverture du mariage aux couples de même sexe, et finance avec prodigalité les campagnes d'opposition au mariage pour tous. Il a déclenché par cette affirmation publique l'indignation de nombreuses personnalités, artistes, entrepreneurs…, et des LGBT et leurs amis (à titre privé ou par associations interposées), dont certains ont décidé de boycotter ces restaurants (soulevant des questions non plus seulement religieuses, mais aussi économiques, à l'heure de la crise financière, où les citoyens sont appelés à soutenir les entreprises nationales). Le débat fait rage dans un pays où il est habituel que de grandes entreprises prennent des positions politiques, rendant par conséquent l'acte de consommation lourd de sens politique. Mais la question de l'ouverture au mariage et, plus largement, de l'égalité des droits demeure particulièrement sensible, car clivante... Et la mécanicienne espère bien que le débat qui s'annonce en France sur les mêmes questions sera un peu plus serein.
"Mangez des brocolis!" © Paige Braddock, 2012

dimanche 9 août 2009

Un amour qui ose dire son nom


Ce 9 août est un jour particulier pour une personne que toi et moi ne connaissons pas directement, amie lectrice, mais qui appartient sans aucun doute et à plus d'un titre à notre cercle amical : Marion est une délicieuse citoyenne britannique de 80 ans qui, à la suite de la disparition de sa compagne, s'est tournée vers des associations LGBT parmi lesquelles Gay Surrey. C'est là (entre autres !) qu'officie Séverine, une chaleureuse jeune femme dont l'enthousiasme à soutenir les gays et les lesbiennes (entre autres !) ne tarit jamais. Par son intermédiaire, nous avons fait la connaissance de Marion, que Séverine a petit à petit apprivoisée. Cette dame nous fait l'honneur de nous permettre aujourd'hui de publier une lettre autobiographique destinée aux archives de l'histoire LGBT de la région où elle vit, dans le cadre d'une belle initiative de l'association Gay Surrey.
Marion, comme tu le constateras, amie lectrice, est une personnalité très attachante à l'histoire émouvante, qui prouve deux choses : l'importance qu'il y a à pouvoir compter sur la solidarité d'une communauté, et l'existence bien réelle de merveilleuses histoires "d'amour qui n'ose dire son nom" ailleurs que dans les livres.
Nous lui laissons la parole :

Je suis née à Portsmouth en 1929. Mon père servait dans la Royal Navy et ma mère tenait la maison. Mon enfance paisible et heureuse a basculé en ce jour de 1939 où la guerre a éclaté. Avec des milliers d'autres enfants, j'ai été évacuée afin d'échapper aux bombardements nourris qui n'épargnaient évidemment pas Portsmouth, port de premier plan pour la marine.
J'ai quitté l'école à 18 ans, pour m'inscrire au Service civil, sans savoir quoi faire d'autre. C'est là que je suis devenue amie avec une jeune fille de mon âge. Notre amitié a progressivement gagné en intensité et évolué vers vers une liaison sexuelle, sachant qu'à l'époque, en 1947, je doute qu'aucune de nous eût songé qu'elle pouvait être considérée comme lesbienne. Je crois même que nous ne nous étions pas rendu compte de ce que c'était. Je me rappelle avoir entendu parler de "l'amour qui n'ose dire son nom" avec Oscar Wilde, et qui l'avait conduit en prison, mais c'était un sujet que l'on n'abordait pas chez moi et, à 18 ans, j'ignorais ce que cela signifiait.
En 1952, j'ai quitté Portsmouth pour un hôpital universitaire de Londres, où je devais commencer mes études d'infirmière, car j'avais enfin choisi ma voie. Mon départ mit fin à cette histoire brève mais forte.
Le 1er décembre 1956, je suis entrée dans une maternité du sud de Londres pour achever ma formation de sage-femme. J'étais loin de me douter que ce jour-là, ma rencontre avec une autre étudiante appelée Eileen bouleverserait à jamais le cours de ma vie.
Une infirmière-chef de garde le soir de mon arrivée nous a demandé si nous nous connaissions avant, et comme ce n'était pas le cas, nous avons trouvé sa question très étrange. Rétrospectivement, je pense qu'elle avait dû pressentir quelque chose que nous, nous n'avions pas encore réalisé. Peu à peu, nous nous sommes liées d'amitié et durant les trois mois qui ont suivi, une attirance mutuelle s'est développée : nous étions en train de tomber amoureuses.
Cependant, entre les quatre murs d'un foyer pour infirmières, il était tout à fait impossible d'exprimer ces sentiments, sous quelque forme que ce fût.
Après un trimestre, chaque étudiante était affectée à seconder une sage-femme en charge d'un secteur donné de la région. Pour Eileen et moi, cela a été une catastrophe, car nous avons été envoyées à des kilomètres l'une de l'autre. Je me rappelle l'urgence qui nous poussait à nous retrouver, lorsque nous ne travaillions pas, et l'angoisse qui montait si l'une de nous arrivait en retard à ces rendez-vous ; entre nous, le contact physique le plus osé consistait à poser nos mains ensemble sur le guidon d'une bicyclette, l'espace de quelques minutes, en espérant que les passants ne s'en apercevraient pas.
Au bout de six mois, nous avons passé nos examens de fin d'études et nous avons été embauchées dans un hôpital situé près de chez Eileen. Sa mère m'a proposé de m'installer dans une chambre d'amis. La première nuit, sitôt que la maison a été plongée dans le silence, Eileen s'est glissée dans le couloir puis dans ma chambre, dotée d'un lit double, et nous sommes enfin devenues amantes. Nous le sommes restées jusqu'à la fin de nos jours — durant cinquante années.
Nos premières vacances en amoureuses se sont déroulées en France, avec la Vespa d'Eileen, qui nous a emmenées dans le sud, chargées de notre matériel de camping. Je n'avais jamais fait de camping avant cela, mais Eileen en avait l'habitude, et elle avait tout pris en main, ainsi qu'elle continuerait d'ailleurs à le faire désormais.
Quelle merveille d'être ensemble en permanence pendant tout un mois ! Je ne crois pas que nous nous soyons considérées comme un couple homosexuel, ou lesbien, nous n'étions que deux femmes qui allaient sur leur 30 ans, et commençaient à s'aimer de façon très intense et passionnée ; nous étions amoureuses, et nous formions des projets pour notre avenir. Nous voulions trouver un appartement près de l'hôpital. Nous aurions aimé voir notre amour béni à l'église, mais cela n'était pas possible dans les années 1960, où l'on était encore bien loin de songer au partenariat civil qui serait voté quarante ans plus tard.
Je crois que pendant toutes ces années, nous avons vécu dans le mensonge à l'égard du monde extérieur. Que ce soit dans l'appartement que nous avons déniché à notre retour de France, ou dans le cottage de deux chambres où, par la suite, nous avons emménagé, à la campagne, nous nous livrions à tout un remue-ménage de déplacement d'oreillers et de tables de chevet, pour donner l'impression que nous dormions seules. Nous avions des amis, bien entendu, mais pas de couples comme nous, des gens mariés ou des célibataires et, à une exception près, personne n'était au courant de la véritable nature de nos liens.
Nous avons vécu ensemble une vie magnifique de labeur, (nous étions infirmières-chefs), et de voyages : nous sommes allées en vacances aux quatre coins de l'Angleterre et dans la plupart des pays d'Europe, et nous avons même travaillé un temps au Moyen-Orient.
Depuis cinq ans, la vie a incontestablement changé. À l'époque où nous nous sommes connues, en 1956, les gays risquaient la prison pour le seul fait de vivre sous le même toit, et ils étaient souvent l'objet de chantages. En 1967, le projet de loi sur les crimes sexuels a été adopté, légalisant les rapports sexuels entre hommes de plus de 21 ans, dans le cercle privé mais pas dans une chambre d'hôtel.
Si les femmes étaient rarement incarcérées pour ces motifs, elles avaient indéniablement à en pâtir. Je me souviens de l'infirmière en chef d'un hôpital qui m'avait fait subir un interrogatoire en règle sur notre appartement : combien y avait-il de chambres ? (Une seule) ; combien y avait-il de lits ? (Un seul). Un jour, malheureusement, Eileen a été hospitalisée dans un état grave. Quand je suis arrivée pour la voir, j'ai découvert que son père m'avait interdite de visite.
Aucune de nous n'était "sortie du placard" auprès de ses parents. Cela ne se faisait pas dans les années 1950. Il est probable que ma mère se soit posé des questions, car Eileen a toujours eu l'initiative dans notre couple (ce qui sautait aux yeux de tous ceux qui fréquentaient notre cottage, mais je ne m'en suis aperçue que récemment, après la mort d'Eileen).
Les années ont passé et soudain, le 5 décembre 2005, le Partenariat Civil a été promulgué, accordant aux couples homosexuels une reconnaissance juridique. Enfin, nous nous sommes dit que nous avions obtenu quelque chose, nous qui espérions depuis cinquante ans voir notre union bénie à l'église ! Ce n'était pas la même chose, mais cela nous plaçait dans la légalité.
C'est ainsi que le 7 décembre 2005, nous nous sommes rendues à l'état civil pour la première partie des démarches, consistant à remplir une demande. La seconde partie des démarches devait se faire quinze jours plus tard. Mais dans l'intervalle, Eileen a été hospitalisée, elle était très malade.
J'ai pris contact avec les services de l'état civil, où l'on a été très gentil avec moi. Grâce à l'aide du médecin spécialiste qui s'occupait d'Eileen, et qui a confirmé qu'elle ne pouvait quitter l'hôpital, la cérémonie a été conduite dans sa chambre par l'officier de l'état civil, avec deux témoins réunis à la hâte. Enfin, le 17 janvier 2006, nous avons été officiellement unies.
Par malheur, la santé d'Eileen a continué à décliner, et elle est morte le 10 juillet 2006. Tout mon univers s'est écroulé. Eileen était ma vie et son départ m'a brisé le cœur à jamais.
Lorsque je regarde en arrière, je mesure la chance que nous avons eue de connaître une si longue et heureuse vie commune. Je sens sa présence auprès de moi dans le petit cottage que nous nous sommes acheté à la sueur de notre front et que nous avons tant chéri, je pleure souvent sur mes souvenirs. Je sais qu'elle veille sur moi, car comme elle le répétait à l'envi, elle m'aimait où que je sois.
Je me suis rendu compte que le fait de ne pas être "sorties du placard" impliquait que la plupart de nos amis ne se doutaient pas de la profondeur du chagrin qui m'habitait et m'habite encore, trois ans après. J'ai trouvé un réconfort extraordinaire auprès des adorables membres de l'association gay et lesbienne de soutien dans le deuil, The Gay Bereavement Project, de The Lighthouse, à Londres, ainsi que de Gay Surrey. Nous n'avons jamais eu d'amis homosexuels, or ce soutien m'a permis de parler de nous et de mes sentiments à des personnes qui me comprenaient parfaitement et parlaient la même langue que moi. Cela m'a également encouragée à "sortir du placard" auprès de gens que je connais depuis longtemps ou depuis peu et d'être fière de notre amour.
Pour qu'un jour, nous nous retrouvions enfin, n'ayant jamais été véritablement séparées.

Bonus :

Un extrait de Two Loves, de Lord Alfred Douglas (le Bosie d'Oscar Wilde) :
What is thy name?' He said, 'My name is Love.'
Then straight the first did turn himself to me
And cried, 'He lieth, for his name is Shame,
But I am Love, and I was wont to be
Alone in this fair garden, till he came
Unasked by night; I am true Love, I fill
The hearts of boy and girl with mutual flame.'
Then sighing, said the other, 'Have thy will,
I am the love that dare not speak its name.

Merci à Séverine Gévaudan.







lundi 13 avril 2009

Toulouse, la pluie... et Lola Van Guardia !


Le week-end pascal nous a vues mettre le cap sur la ville rose avec autant de fébrilité que la tienne à l'instant de découvrir ton premier oeuf de Pâques. Car si une folle passion pour le chocolat nous habite, nous aussi, cette impatience-là était celle de retrouver une amie de dix ans avec laquelle nous avons vécu de bien belles choses et que nous voyons trop peu... Lola Van Guardia/Isabel Franc (lire billet du 28/07/08 "D'où sors-tu?), de passage en France.
Il y avait longtemps que nous n'avions bu un verre ensemble, et nous avions bien des choses à nous raconter, la vie, les amies, les livres, les modèles alternatifs... Par un jour gris et froid, serrées entre larmes et rires autour de la chaleur des retrouvailles et d'un peu de vin. Nous avons parlé du passé et beaucoup de l'avenir, car l'expérience commune nous a appris à nous concentrer sur des projets excitants.
Et des projets excitants, il y en a plein les têtes, tu peux me croire, amie lectrice.


Merci Isabel Franc.

vendredi 26 septembre 2008

Patience et Sarah, Isabel Miller


C'est un livre particulier à bien des égards. D'abord, parce qu'il a été autopublié en 1971 à New York et diffusé de la main à la main, dans des associations de femmes (par exemple les Daughters of Bilitis, voir billet précédent sur Del Martin intitulé In Memoriam), avant qu'un éditeur s'y intéresse. Il est devenu ensuite au cours des années un succès international, en tant que l'un des premiers romans dont le sujet soit explicitement l'homosexualité féminine et/mais présentée de manière positive. Aujourd'hui, cela paraît moins important, mais il faut encore une fois se replacer dans un contexte où les rares évocations d'amours sapphiques finissaient au mieux dans le chagrin et les larmes, au pire dans le sang et la damnation éternelle.
C'est également l'histoire romancée de deux amantes ayant réellement existé, au début du XIXe siècle en Amérique du Nord et, de ce point de vue, une curiosité en soi: avait-on jamais imaginé des pionnières de la conquête de l'Ouest en couple, en train de se construire un lit (qu'elles ne tarderont pas à casser gaiement dans de manifestement très heureuses circonstances)?
Histoire d'amour reconstituée par Alma Routsong (sous le pseudonyme de Isabel Miller), une américaine divorcée, elle-même tombée amoureuse d'une coparoissienne. Visitant un jour un musée d'art populaire, elles découvrent des peintures exposées au-dessus d'un pannonceau présentant l'auteure comme ayant vécu de son art avec sa compagne fermière, à laquelle elle était "liée par un attachement sentimental".
L'histoire d'amour de Patience et Sarah s'est perpétuée ainsi, de femmes en femmes, d'écho d'histoires d'amour et de couple, jusqu'à devenir un opéra, et à être traduite un peu partout.
Une première traduction française était parue dans les années 1970 chez Grasset (rien de moins!), entreprise par un écrivain un peu prude (à moins que cela n'ait été l'éditeur...) qui montrait nos deux protagonistes rougissantes quand elles étaient humides en V.O., qui "oubliait" les évocations sensuelles, etc.
D'où l'intérêt de notre nouvelle traduction, intégrale et conforme au travail de l'auteure, particulièrement sur la relation sentimentale et les allusions érotiques, ainsi que sur l'aspect de reconstitution d'une époque, de ses moeurs. Il fallait aussi, à notre sens, rendre l'épaisseur des personnages, puisqu'elles sont issues de deux milieux sociaux très différents, l'une sait écrire et lire, l'autre non, elles ne parlent pas de la même manière, n'appréhendent pas le monde avec les mêmes yeux. Bref, elles sont réunies essentiellement par la force de leur amour et ce qu'il leur donne le courage de faire ensemble.
Au-delà de cela, on peut aussi y voir une très belle et très contemporaine expression de l'identité de genre assumée, à travers le personnage de Sarah, flamboyante de liberté intérieure et de détemination.
Je sais aussi que ce livre a été très important pour toute la génération de femmes qui nous a précédées (la mécanicienne est née la même année que ce livre!), comme je l'écrivais plus haut, puisqu'enfin deux femmes s'y aiment ouvertement et avec bonheur; le sachant épuisé depuis des années en français, nous avons été heureuses de contribuer à rendre disponible une pièce maîtresse de l'histoire de la littérature lesbienne.
Enfin, l'auteure étant décédée dans les années 1990, j'ai eu avec Elizabeth, sa compagne de l'époque de l'écriture de Patience et Sarah, des rapports chaleureux et enrichissants, et j'ai éprouvé une grande émotion à prendre ce trésor de la main de cette délicieuse vieille dame pour te le tendre et le mettre dans ta main, amie lectrice.

samedi 20 septembre 2008

In memoriam

Une pensée pour une femme étonnante: Del Martin, née en 1921 et décédée fin août. Cette américaine a très tôt milité pour la cause lesbienne, en créant avec sa compagne Phyllis Lyon et d'autres en 1956 une association, les Daughters of Bilitis, destinée à soutenir les homosexuelles - pas une mince affaire, si tu te remets dans le contexte de l'époque aux États-Unis... Et elle a vécu une vie d'engagement exemplaire, jusqu'au bout, puisqu'elle a défendu le droit au mariage civil en Californie jusqu'à pouvoir épouser légalement (et en grande pompe) le 16 juin 2008 l'amour de sa vie, Phyllis, avec laquelle elle a partagé sa vie pendant 55 ans. C'est aussi à elle que je pense en ce moment. Je te souhaite, amie lectrice, et je nous souhaite une vie aussi bien remplie que celle de Del Martin.
(Dans la video qui suit, Del est dans le fauteuil roulant, et Phyllis le manoeuvre).