vendredi 26 septembre 2008

On n'arrête pas le progrès


Au fait, j'en profite pour signaler que, cédant aux pressions nombreuses et appuyées, les Éditions Dans L'Engrenage sont visibles sur Facebook, pour celles qui en sont...
À bientôt de t'y croiser, amie lectrice :
http://www.new.facebook.com/pages/Editions-Dans-LEngrenage/

Patience et Sarah, Isabel Miller


C'est un livre particulier à bien des égards. D'abord, parce qu'il a été autopublié en 1971 à New York et diffusé de la main à la main, dans des associations de femmes (par exemple les Daughters of Bilitis, voir billet précédent sur Del Martin intitulé In Memoriam), avant qu'un éditeur s'y intéresse. Il est devenu ensuite au cours des années un succès international, en tant que l'un des premiers romans dont le sujet soit explicitement l'homosexualité féminine et/mais présentée de manière positive. Aujourd'hui, cela paraît moins important, mais il faut encore une fois se replacer dans un contexte où les rares évocations d'amours sapphiques finissaient au mieux dans le chagrin et les larmes, au pire dans le sang et la damnation éternelle.
C'est également l'histoire romancée de deux amantes ayant réellement existé, au début du XIXe siècle en Amérique du Nord et, de ce point de vue, une curiosité en soi: avait-on jamais imaginé des pionnières de la conquête de l'Ouest en couple, en train de se construire un lit (qu'elles ne tarderont pas à casser gaiement dans de manifestement très heureuses circonstances)?
Histoire d'amour reconstituée par Alma Routsong (sous le pseudonyme de Isabel Miller), une américaine divorcée, elle-même tombée amoureuse d'une coparoissienne. Visitant un jour un musée d'art populaire, elles découvrent des peintures exposées au-dessus d'un pannonceau présentant l'auteure comme ayant vécu de son art avec sa compagne fermière, à laquelle elle était "liée par un attachement sentimental".
L'histoire d'amour de Patience et Sarah s'est perpétuée ainsi, de femmes en femmes, d'écho d'histoires d'amour et de couple, jusqu'à devenir un opéra, et à être traduite un peu partout.
Une première traduction française était parue dans les années 1970 chez Grasset (rien de moins!), entreprise par un écrivain un peu prude (à moins que cela n'ait été l'éditeur...) qui montrait nos deux protagonistes rougissantes quand elles étaient humides en V.O., qui "oubliait" les évocations sensuelles, etc.
D'où l'intérêt de notre nouvelle traduction, intégrale et conforme au travail de l'auteure, particulièrement sur la relation sentimentale et les allusions érotiques, ainsi que sur l'aspect de reconstitution d'une époque, de ses moeurs. Il fallait aussi, à notre sens, rendre l'épaisseur des personnages, puisqu'elles sont issues de deux milieux sociaux très différents, l'une sait écrire et lire, l'autre non, elles ne parlent pas de la même manière, n'appréhendent pas le monde avec les mêmes yeux. Bref, elles sont réunies essentiellement par la force de leur amour et ce qu'il leur donne le courage de faire ensemble.
Au-delà de cela, on peut aussi y voir une très belle et très contemporaine expression de l'identité de genre assumée, à travers le personnage de Sarah, flamboyante de liberté intérieure et de détemination.
Je sais aussi que ce livre a été très important pour toute la génération de femmes qui nous a précédées (la mécanicienne est née la même année que ce livre!), comme je l'écrivais plus haut, puisqu'enfin deux femmes s'y aiment ouvertement et avec bonheur; le sachant épuisé depuis des années en français, nous avons été heureuses de contribuer à rendre disponible une pièce maîtresse de l'histoire de la littérature lesbienne.
Enfin, l'auteure étant décédée dans les années 1990, j'ai eu avec Elizabeth, sa compagne de l'époque de l'écriture de Patience et Sarah, des rapports chaleureux et enrichissants, et j'ai éprouvé une grande émotion à prendre ce trésor de la main de cette délicieuse vieille dame pour te le tendre et le mettre dans ta main, amie lectrice.

samedi 20 septembre 2008

In memoriam

Une pensée pour une femme étonnante: Del Martin, née en 1921 et décédée fin août. Cette américaine a très tôt milité pour la cause lesbienne, en créant avec sa compagne Phyllis Lyon et d'autres en 1956 une association, les Daughters of Bilitis, destinée à soutenir les homosexuelles - pas une mince affaire, si tu te remets dans le contexte de l'époque aux États-Unis... Et elle a vécu une vie d'engagement exemplaire, jusqu'au bout, puisqu'elle a défendu le droit au mariage civil en Californie jusqu'à pouvoir épouser légalement (et en grande pompe) le 16 juin 2008 l'amour de sa vie, Phyllis, avec laquelle elle a partagé sa vie pendant 55 ans. C'est aussi à elle que je pense en ce moment. Je te souhaite, amie lectrice, et je nous souhaite une vie aussi bien remplie que celle de Del Martin.
(Dans la video qui suit, Del est dans le fauteuil roulant, et Phyllis le manoeuvre).