Nous avons créé en 2005 une collection de romans d’amour. Je vois parfois, ou j’entends, des personnes qui, ayant en main l’un des titres de cette collection (intitulée Romance, enveloppée de rose bonbon, avec des titres romantiques), s’écrient, “Ah, le résumé au dos du livre me donne envie de le lire, mais j’espère-que-ça-ne-sera-pas-trop-rose”. J’ai toujours envie de répondre : “Si tu n’aimes pas le rose, n’achète surtout pas de livre rose.”
Les romans à l’eau de rose souffrent d’une réputation (et j’emploie à dessein le terme de réputation) détestable. Ils sont méprisés, tournés en dérision ou placés dans les derniers sous-sols de la littérature. Or à mon très humble avis, la bêtise n’est pas là où on le croit. Le roman rose est, comme souvent les littératures populaires, un genre codifié. Très codifié, même, point commun à ce qu’on appelle les paralittératures (en France). Cela signifie qu’il obéit à une conception, une grille, du début à la fin, relevant de règles précises. L’intérêt étant évidemment de suivre ces règles, parfois de les renouveler, et surtout de les transgresser.
Ce que les dénigreurs du roman sentimental oublient souvent, les pauvres, c’est le lecteur et son rapport avec ce type de livres. Les couvertures romantiques, les titres suaves, l’habillage des couvertures, le nom des collections, les arguments développés par le récit et présentés en résumé, tout est cohérent, et c’est amusant de constater qu’on puisse en être dupe, croire que cela n’est pas fait exprès pour être reconnaissable. Donc, si l’on choisit un livre dont le titre évoque la passion sensuelle, l’amour infini, le rêve ou la princesse charmante, l’ivresse des sens etc., que la couverture présente des couleurs chaudes bouillantes, avec des baisers langoureux, des décors de rêve… on sait ce qu’il y a dedans. Une complicité tacite et réciproque s’établit entre le lecteur et l’auteur. Le lecteur de romans codifiés recherche précisément cela, le rapport avec ce code, le fait qu’il le connaisse, qu’il soit capable de le décrypter, la lisibilité de l’ensemble… (En d’autres termes, il aime savoir le lire, comme un enfant qui vient d’apprendre à lire éprouve un plaisir très particulier à ouvrir un livre à présent qu’il est sûr de savoir le lire). Il en attend ensuite variantes et dévoiements, car dans cette configuration-là, il est complètement libéré et peut jouir des personnages, parce qu’il les domine, peut les comprendre en un clin d’œil, s’identifier et mettre en branle son imagination. Son cerveau.
Si certaines littératures populaires ont réussi, ces dernières années, à sortir de la déconsidération, tels le domaine policier ou la science fiction, ce n’est pas encore le cas du roman d’amour. Pourtant, au-delà de sa précieuse vertu d’évasion et des développements imaginaires, il présente de plus en plus une dimension politique que je m’étonne de ne pas voir plus souvent soulignée. Dans le genre en général, où historiquement, les femmes ont le premier rôle, il a parfois précédé et annoncé la réalité de l’évolution de la place des femmes dans la société : les personnages féminins ont gagné en indépendance par rapport aux hommes, à la famille, au statut social et professionnel. Et sont passés de la passivité à l’action, voire au pouvoir. Leur sexualité s’ouvre et se libère, gagne en audace.
Et pour le cas des romans d’amour lesbiens, il faut reconnaître plusieurs faits essentiels. D’abord, c’est largement le terreau sur lequel une grande partie du mouvement littéraire lesbien a pu prendre racine, car il s’agissait à la fois de se réapproprier des stéréotypes amoureux hétérosexuels, mais aussi de les réinvestir et de les réinventer.
Ensuite, parce que l’écriture des scènes érotiques est un enjeu en soi et appartient presque dès sa naissance à la problématique du roman rose lesbien, à la différence du modèle hétérosexuel. Une originalité qui ouvre des horizons à la réflexion, non?
Enfin, puisque les littératures populaires, comme leur nom l’indique, s’adressent aux masses... La littérature lesbienne a pu toucher un public plus vaste, elle s’est démocratisée, avec tout ce que cela comporte : la visibilité, le bien-être psychologique pour certaines (ça compte, quand même, non ?), l’affirmation d’une vie normale (à travers le paradoxe de la “vie de rêve”), la venue à la lecture d’une catégorie de lectrices qui ne trouvaient pas de quoi leur en donner le goût…
Comme beaucoup de gens (des femmes, des hommes, des manuelles, des intellectuelles, le responsable de la chaîne de fabrication, Nathalie Sarraute et toi, amie lectrice), nous aimons de temps en temps ouvrir un bon roman sentimental en savourant à l’avance la fin heureuse qui nous attend, avec des femmes qui se découvrent, se séduisent et finissent par s’aimer… comme si c’était simple.
Merci Beth.
Les romans à l’eau de rose souffrent d’une réputation (et j’emploie à dessein le terme de réputation) détestable. Ils sont méprisés, tournés en dérision ou placés dans les derniers sous-sols de la littérature. Or à mon très humble avis, la bêtise n’est pas là où on le croit. Le roman rose est, comme souvent les littératures populaires, un genre codifié. Très codifié, même, point commun à ce qu’on appelle les paralittératures (en France). Cela signifie qu’il obéit à une conception, une grille, du début à la fin, relevant de règles précises. L’intérêt étant évidemment de suivre ces règles, parfois de les renouveler, et surtout de les transgresser.
Ce que les dénigreurs du roman sentimental oublient souvent, les pauvres, c’est le lecteur et son rapport avec ce type de livres. Les couvertures romantiques, les titres suaves, l’habillage des couvertures, le nom des collections, les arguments développés par le récit et présentés en résumé, tout est cohérent, et c’est amusant de constater qu’on puisse en être dupe, croire que cela n’est pas fait exprès pour être reconnaissable. Donc, si l’on choisit un livre dont le titre évoque la passion sensuelle, l’amour infini, le rêve ou la princesse charmante, l’ivresse des sens etc., que la couverture présente des couleurs chaudes bouillantes, avec des baisers langoureux, des décors de rêve… on sait ce qu’il y a dedans. Une complicité tacite et réciproque s’établit entre le lecteur et l’auteur. Le lecteur de romans codifiés recherche précisément cela, le rapport avec ce code, le fait qu’il le connaisse, qu’il soit capable de le décrypter, la lisibilité de l’ensemble… (En d’autres termes, il aime savoir le lire, comme un enfant qui vient d’apprendre à lire éprouve un plaisir très particulier à ouvrir un livre à présent qu’il est sûr de savoir le lire). Il en attend ensuite variantes et dévoiements, car dans cette configuration-là, il est complètement libéré et peut jouir des personnages, parce qu’il les domine, peut les comprendre en un clin d’œil, s’identifier et mettre en branle son imagination. Son cerveau.
Si certaines littératures populaires ont réussi, ces dernières années, à sortir de la déconsidération, tels le domaine policier ou la science fiction, ce n’est pas encore le cas du roman d’amour. Pourtant, au-delà de sa précieuse vertu d’évasion et des développements imaginaires, il présente de plus en plus une dimension politique que je m’étonne de ne pas voir plus souvent soulignée. Dans le genre en général, où historiquement, les femmes ont le premier rôle, il a parfois précédé et annoncé la réalité de l’évolution de la place des femmes dans la société : les personnages féminins ont gagné en indépendance par rapport aux hommes, à la famille, au statut social et professionnel. Et sont passés de la passivité à l’action, voire au pouvoir. Leur sexualité s’ouvre et se libère, gagne en audace.
Et pour le cas des romans d’amour lesbiens, il faut reconnaître plusieurs faits essentiels. D’abord, c’est largement le terreau sur lequel une grande partie du mouvement littéraire lesbien a pu prendre racine, car il s’agissait à la fois de se réapproprier des stéréotypes amoureux hétérosexuels, mais aussi de les réinvestir et de les réinventer.
Ensuite, parce que l’écriture des scènes érotiques est un enjeu en soi et appartient presque dès sa naissance à la problématique du roman rose lesbien, à la différence du modèle hétérosexuel. Une originalité qui ouvre des horizons à la réflexion, non?
Enfin, puisque les littératures populaires, comme leur nom l’indique, s’adressent aux masses... La littérature lesbienne a pu toucher un public plus vaste, elle s’est démocratisée, avec tout ce que cela comporte : la visibilité, le bien-être psychologique pour certaines (ça compte, quand même, non ?), l’affirmation d’une vie normale (à travers le paradoxe de la “vie de rêve”), la venue à la lecture d’une catégorie de lectrices qui ne trouvaient pas de quoi leur en donner le goût…
Comme beaucoup de gens (des femmes, des hommes, des manuelles, des intellectuelles, le responsable de la chaîne de fabrication, Nathalie Sarraute et toi, amie lectrice), nous aimons de temps en temps ouvrir un bon roman sentimental en savourant à l’avance la fin heureuse qui nous attend, avec des femmes qui se découvrent, se séduisent et finissent par s’aimer… comme si c’était simple.
Merci Beth.